Suite et fin de notre entretien exclusif avec Mohamed Bouguerra, auteur du Foot africain de A à Z, dictionnaire amoureux du football africain.
Mohamed Bouguerra, la 33e CAN se joue l’an prochain au Cameroun. Quel est votre meilleur souvenir de CAN ? Et votre pire souvenir ?
Je vais, si vous le voulez bien, vous citer mes deux meilleurs et mes deux pires souvenirs de la CAN, tout simplement parce que je suis supporter de l’équipe d’Algérie en particulier et du football africain en général. Un souvenir pour chacune de mes passions. Le meilleur souvenir en ce qui concerne l’équipe d’Algérie c’est la victoire à la CAN 2019. Même si j’avais vécu celle de 1990, la joie en 2019 était supérieure tout simplement parce que le pays a traversé entre temps la décennie noire, que nous n’avions plus rien gagné depuis 29 ans, et que la CAN avait lieu en été, avec 24 équipes, en Egypte (rires), en mondovision, et que l’Algérie l’a dominée de la tête et des épaules. Cette victoire a mis 40 millions d’Algériens dans la rue, tout simplement parce que cette équipe représentait toute l’Algérie dans sa diversité.
Mon plus beau souvenir de CAN sur le plan africain c’est la victoire de la Zambie, en 2012. Une vraie nation de football qui n’a jamais eu de chance, qui a connu un drame en 1993, dont je parle dans le livre, et qui a réussi à décrocher un titre continental.
Mon pire souvenir de CAN pour l’Algérie, c’est ce qu’on a appelé « la déroute de Zinguinchor », en 1992, où l’Algérie qui avait une jeune génération galactique, s’est fait éliminer parce que la génération 1982, en fin de parcours et vieillissante, avait trusté les places dans le 11 titulaire. Un énorme gâchis. Sinon mon pire souvenir de CAN, c’est l’attentat contre le Togo, en 2010 en Angola. Le plus triste moment du football africain avec la catastrophe de Port-Saïd en championnat d’Egypte.
Que manque-t-il à l’Afrique pour gagner la Coupe du monde ? Pensez-vous voir une telle victoire un jour ?
Par le passé je vous aurais dit, une équipe qui sait défendre aussi bien qu’elle sait attaquer. Ou une équipe qui est mieux gérée sur le plan organisationnel, où le groupe reçoit ses primes en temps et en heure et se prépare comme l’équipe de France ou l’équipe d’Allemagne physiquement. Mais aujourd’hui, les grandes sélections du continent comme le Sénégal par exemple, n’ont plus rien à envier aux sélections européennes en termes de moyens financiers, d’effectif, de profondeur de banc, de préparation physique et de staff médical. Par contre consciemment ou inconsciemment, l’Afrique subit le même traitement qu’un club de Moldavie ou de Slovénie en Ligue des Champions, c’est-à-dire un arbitrage honnête mais sans pitié par rapport à celui des grandes nations du football mondial. Lors d’un Cameroun-Allemagne par exemple, si l’attaquant allemand part à l’extrême limite du hors jeu et file seul au but, dans le doute l’arbitre ne sifflera pas hors je et validera le but. Si ce même départ à l’extrême limite du hors jeu, à lieu côté camerounais, dans le doute, le drapeau sera levé. Sans passer pour un « complotiste », je vous dirais que l’Afrique peut gagner la Coupe du monde, mais qu’elle doit gagner franchement tous les matchs et avec deux buts d’écart au minimum.
« Il n’y a pas que le Barça et le Real dans la vie »
Qu’est-ce que le football africain a de particulièrement attachant à vos yeux ? Et de particulièrement agaçantou énervant ?
Pour moi, le football africain n’a que des qualités et zéro défaut (rire). Ce football c’est la joie, la passion, l’instinct, la solidarité, l’Histoire avec un grand H, les couleurs et le système D. C’est « plus qu’un sport », c’est une machine à fabriquer de la joie, c’est un cours d’histoire-géographie, c’est une machine à repousser les limites de l’impossible, c’est un outil d’émancipation des femmes et d’ascenseur social et c’est un unificateur des peuples. La CAF malgré ses défauts a réussi là où l’Union Africaine a échoué.
Une seule chose m’agace ou m’énerve dans le football africain, ce sont les comportements minables que subissent certaines équipes visiteuses. Des empoisonnements, de la violence, et autres incivilités du type blocage à la douane, chiens méchants dans le couloir du stade etc.
Question « carte blanche » : y a-t-il autre chose que vous voudriez ajouter au sujet du livre ?
Je lance juste un appel aux jeunes du monde entier, y compris en Afrique, en leur demandant de s’intéresser à ce football africain, de l’aimer, de suivre ses compétitions, d’en débattre sur les réseaux sociaux, ou de créer des blogs pour en parler sur internet, comme nous l’avons fait avant vous. Il n’y a pas que le FC Barcelone et le Real Madrid dans la vie, même si le « foot business, console de jeu, Superligue » tente, avec de gros moyens, de vous persuader du contraire. Ma génération a su succéder à nos ainés, grâce à des magazines comme Afrique Football, ou des émissions de télévision comme Sport Africa (TV5 Monde), qui nous ont transmis la passion de ce football, mais demain, quand nous ne serons plus capables de supporter ce football à cause de la limite d’âge, il faudra que vous preniez le relais. J’ai écris ce livre en grande partie pour vous.
Le foot africain de A à Z (Média Sports Editions, disponible sur Amazon, 19,50€).
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