SPORT

Hamed Junior Traoré (AJA), l’itinéraire bis d’un enfant surdoué

Prêté à l’AJ Auxerre par Bournemouth
l’été dernier, l’international ivoirien Hamed Junior Traoré
s’impose comme le facteur X du club promu. Gros plan sur un artiste
à la trajectoire atypique.

Il a posé ses valises en Bourgogne à la fin de l’été, sur la
pointe des pieds, avec ce sourire gêné qui ne le quitte jamais. En
ces temps troubles où le destin d’un club bascule parfois sur un
coup de téléphone, les amoureux de l’AJ
Auxerre
se demandaient de quel bois était fait un
footballeur aussi coté qui arrivait d’Angleterre. Deux mois plus
tard,
Hamed Junior Traoré
leur a donné la meilleure
des réponses. Ce n’est plus une curiosité. C’est une sensation.

Prêté sans option d’achat par Bournemouth, l’international
ivoirien de 24 ans est le joueur frisson d’un promu qui croque à
pleines dents dans sa saison. Recruté pour combler le départ à Metz
de l’influent Gauthier Hein, le nouveau leader offensif de l’AJA a
dû emprunter un drôle d’itinéraire pour se frayer un chemin vers le
haut niveau. Magnéto.

 

Biberonné par De Zerbi en Italie

Hamed Junior Traoré a fait le grand saut pour l’Europe à 13 ans.
C’est en Italie que le natif d’Abidjan s’est formé, à Empoli, où il
est lancé dans le grand bain du foot pro en 2017. « J’étais
sans mes parents, mais pas seul. J’étais dans une famille d’accueil
ivoirienne avec deux autres jeunes. On a fait un an, puis on est
allés dans un centre de formation »
, expliquait-il dans un
entretien pour L’Équipe, il y a quelques semaines. Éblouissant dans
les catégories de son âge, le jeune Ivoirien est vite repéré par
Sassuolo, qui s’attache ses services sous la forme d’un prêt en
2019 avant de l’acquérir deux ans plus tard. Une première période
faste. Avec les Neroverdi, Hamed Junior Traoré observe,
apprend, engrange et se construit, notamment sous la tutelle d’un
certain Roberto De Zerbi. « J’ai pris beaucoup de plaisir à
jouer avec lui. Il m’a aidé à tous les niveaux, tactique, physique
et technique »
, reconnaissait le milieu offensif, avant que
les deux hommes ne se recroisent au Vélodrome pour la
victoire éclatante de l’AJA contre l’OM (3-1)
.

 

L’histoire est lancée. Devenu une valeur montante de Serie
A
, où l’AC Milan lui fait la cour, Hamed Junior Traoré
ouvre un autre volet de sa carrière lorsque Patrice Beaumelle le
convoque en équipe de
Côte d’Ivoire
. Nous sommes en septembre 2021.
« Lorsque j’arrive en Côte d’Ivoire, je suis nommé début mars
2020 et le Covid frappe le monde,
se remémore le technicien.
De mars à octobre, on n’a plus de matchs internationaux. Par
contre, l’Italie continue de jouer son championnat à huis clos et 3
jeunes joueurs m’avaient interpellé là-bas : Amad Diallo (alors à
l’Atalanta), Jérémie Boga (Sassuolo) et Hamed Junior Traoré
(Sassuolo). »

Avec Junior, comme le surnomment tous ses coéquipiers, il y a ce
que l’on voit au premier coup d’œil : la qualité technique du
garçon. Actuel coach du MC Alger, Patrice Beaumelle a été
immédiatement frappé par son toucher de balle. « Ses premières
qualités, ce sont cette aisance avec le ballon, toujours la tête
levée, et cette belle vision du jeu. Il a cette capacité à garder
le ballon quand il le faut ou le donner à une touche. J’ai trouvé
en lui des qualités naturelles. »

 

Il y a ce que l’on voit moins, aussi. Facile, élégant, rapide,
l’international ivoirien récolte les fruits de sa formation
italienne. Une grande discipline tactique, avec et sans ballon.
« Il a ce bagage dans la compréhension du jeu et l’analyse.
Lorsque je le prends, je sais que je peux le mettre en-dessous de
l’attaquant ou sur un côté avec le même rendement, poursuit Patrice
Beaumelle. En Italie, même si le Catenaccio n’est plus trop
d’actualité, l’animation défensive à la perte du ballon est très
importante. Pour pouvoir jouer en Serie A et adhérer aux projets
des coachs, il faut cette compréhension tactique. »

Une intelligence de jeu à laquelle s’ajoute une dimension
athlétique inattendue pour ce gabarit moyen (1,77m). Loin d’avoir
un physique de déménageur, le jeune homme est véloce, dur au mal.
Et sa protection de balle est précieuse lorsqu’il est encerclé.
« Il n’est pas grand mais il est musculeux, précise son
ancien sélectionneur. Il se sert de son jeu de corps. Il a
beaucoup de maturité malgré son jeune âge. C’est naturel pour lui
de résister aux chocs. Son centre de gravité bas lui permet déjà
d’éviter des contacts, mais d’aller aussi au duel lorsqu’il le
faut. Et comme il lit le jeu avant les autres, il est prêt au
départ de l’action. »
Au micro de DAZN, Roberto De Zerbi avait
résumé avant OM-AJA tout le bien qu’il pense de son ancien joueur.
« C’est un grand talent ! Je l’ai entraîné quand il était plus
jeune. C’est aussi quelqu’un de très courageux »
.

« Quand il a raté la CAN à cause du paludisme, il était
déçu pour lui mais la fierté pour ses frères prenait le dessus
»

Patrice Beaumelle, son ancien
sélectionneur

Après l’Italie, Hamed Junior Traoré met le cap sur l’Angleterre
à l’hiver 2023, sous la forme d’un prêt avec obligation d’achat à
Bournemouth. Changement d’ambiance. L’acclimatation à la Premier
League est plus délicate. L’Ivoirien y poursuit son apprentissage
mais traverse aussi quelques turbulences, à cause d’une blessure
tenace au pied. Retour en Italie un an plus tard, avec un prêt à
Naples, où il devient une pièce importante de Francesco Calzona,
qui le titularise au Camp Nou contre le Barça en huitième de finale
retour de Ligue des champions, au printemps 2024.

Reste qu’entre-temps, la progression du milieu de terrain
offensif a été freinée par un coup dur. Hamed Junior Traoré a
déclaré forfait pour la CAN après avoir contracté le paludisme. La
Côte d’Ivoire sera sacrée chez elle. Les sentiments s’entremêlent.
« Au début, il y a eu un petit pincement au cœur, vite passé.
Je suis croyant et si Dieu n’a pas voulu que je participe à la CAN,
car j’étais malade, lui seul connaît les raisons. Je ne peux
qu’accepter et aller de l’avant. »
Patrice Beaumelle en dit
beaucoup sur son état d’esprit. « Le paludisme fait
malheureusement partie du quotidien en Afrique. Je l’ai eu deux
fois, ça foudroie. Dans les croyances, on dit souvent que c’est
Dieu qui décide. Quand il a raté cette CAN à cause du paludisme, il
était forcément déçu pour lui mais la fierté pour ses frères
prenait le dessus. C’est tellement un bon garçon… Chez beaucoup de
footballeurs africains, il y a une humilité, un amour du pays, une
adhésion. C’est très puissant. »
Un élément de contexte
supplémentaire pour expliquer la trajectoire non linéaire de ce
talent.

Car une question taraude les observateurs, forcément : comment
ce diamant a-t-il pu atterrir chez un promu en Ligue 1 ? Entraîneur
des attaquants pour l’AJA- dont il est une légende -, Djibril Cissé
n’y va pas par quatre chemins. « Junior, c’est un joueur qui a
le niveau pour jouer ailleurs, s’est-il exclamé dans L’Équipe du
Soir. Pour moi, Junior, ça joue à Marseille, ça joue à Lille, ça
joue à Monaco, ça joue dans beaucoup de clubs de Ligue 1 ! On a de
la chance de l’avoir, on ne va pas se plaindre… »
. Pour
Patrice Beaumelle, la résonance d’Auxerre en Côte d’Ivoire a pesé
dans la balance. « Le football français est très suivi là-bas.
Il a vu tous les grands frères qui ont pu jouer dans ce club,
internationaux ivoiriens comme Bonaventure Kalou, mais aussi de
nationalité française comme Djibril Cissé, Basile Boli… Vous savez,
le football est une petite famille. Les gens s’appellent entre eux.
Quoi de mieux que d’aller à l’AJA pour exceller et enchaîner les
matchs ? L’important à son âge, c’est de jouer. »

Auxerre, le bon endroit au bon moment

Ne comptez pas sur Hamed Junior Traoré pour bomber le torse.
Avec son C.V. bien garni et sa petite réputation, la recrue phare
de l’été aurait pu débarquer en regardant tout le monde de haut. Il
n’en a rien été. Le jeune homme étonne plutôt par sa simplicité. On
le dit humble, accessible, avenant, attachant, un poil espiègle,
toujours bienveillant. Au Vélodrome, on l’a vu driver un
coéquipier sur une contre-attaque, avant de sourire, le pouce levé.
Une ambition exprimée en douceur pour un joueur qui se fond dans
son nouveau cocon. Christophe Pélissier est catégorique : «
Au-delà d’être un super joueur, il s’agit surtout d’un super garçon
! »
. Le terme revient encore. Comme si tous les coachs de
l’Ivoirien se renvoyaient le balle…

« C’est un fils de bonne famille. Il a une éducation
remarquable,
abonde son ancien sélectionneur. J’ai le
souvenir de son bizutage. Avec son sourire, il a mis la musique et
il a dansé. Les autres joueurs l’ont tout de suite adopté comme un
frère. Il y avait de sacrés clients comme Sébastien Haller, Nicolas
Pépé, Wilfried Zaha, Gervinho et Max-Alain Gradel qui étaient
encore là… Mais il n’a pas été inhibé ! Parce qu’il a ce ‘langage
football’. Et puis il est toujours à l’heure, très sérieux, très
professionnel. Il sait où il veut aller mais il est respectueux,
discipliné, bien élevé… à l’image de son football : propre et
efficace. »

Après une victoire à l’Abbé-Deschamps, il n’est pas rare de le
voir communier avec le peuple ajaïste en dansant comme un enfant,
sourire jusqu’aux oreilles aux côtés des vieux de la vieille, comme
le capitaine Jubal ou le gardien Donovan Léon. Au fil des semaines,
l’Ivoirien a été conquis par l’atmosphère so british de ce
stade. Des tribunes proches de la pelouse, un billard vert pour
faire admirer sa technique soyeuse, et le brouhaha d’un petit écrin
plein à chaque match, sous le soleil ou sous la pluie – y compris
le vendredi, jour de taff.

C’était aussi le sens à donner à cette aventure : se plonger
dans une ambiance propice à la performance. Depuis la première
remontée il y a deux ans, il se passe quelque chose à Auxerre. Avec
ses 35.000 âmes, sa cathédrale et ses quais plein de charme, cette
ville reste un coin spécial dans le paysage du foot français. C’est
une vraie terre de ballon où il fait bon vivre, le genre d’endroit
idéal pour se refaire une santé à proximité de la capitale. Traoré
renoue ainsi avec ses premiers amours, lui qui avait connu la
quiétude de ces petites communes en Italie, du côté de Sassuolo et
d’Empoli.

L’AJA, elle, a réussi un petit tour de force en attirant un
joueur de ce calibre en 2024, dans un écosystème où tout est fait
pour la rayer de la carte. À Auxerre, cette tradition ne date pas
d’hier. Réputé pour sa formation, le club bourguignon a aussi bâti
son riche passé sur ces jolis coups à moindre coût. En vrac, citons
Andrzej Szarmach, Frank Verlaat, Enzo Scifo, Laurent Blanc et
bien-sûr Bonaventure Kalou. Autant de mariages éphémères mais
réussis, avec un seul but pour toutes les parties : être au bon
endroit, au bon moment.

Quoiqu’il en soit, Hamed Junior Traoré n’est qu’au début de son
histoire. Les plus beaux chapitres restent encore à écrire. «
Dans son évolution, je pense qu’il marquera les esprits en France
et en Europe », prédit Patrice Beaumelle. Prenez un Franck Kessié,
même s’il ne joue pas au même poste : il était au pays, a navigué
en Serie B, en Serie A, où il faisait de bons matchs… Mais c’est
quand il est arrivé à l’AC Milan qu’on a vu à quel point c’était un
top joueur. S’il fait les bons choix, je lui vois ce type de
trajectoire. »
Dans le ciel embrumé de la Ligue 1, la comète
Traoré partira peut-être aussi vite qu’elle est arrivée, comme une
étoile filante. Pour le moment, laissons-la briller sur les bords
de l’Yonne…

Propos recueillis par Jean-Charles
Danrée


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